PELERINAGE AU PAYS DE MERE TERESA
Abbé Léonardo KAMALEBO
Corpus Christi Movement
Switzerland.
Le Boeing du British Airways se pose sur le Talmac de
l’aéroport de Calcutta, Capitale du Bergale Occidental (WB).
Il est 10h00’, heure locale. Nous avons vite fait d’oublier
l’hiver et la neige d’outre-mer. La chaleur, la lumière,
une poussière salissante nous inondent. A huit, on s’engouffre
dans une ambulance apprêtée par les Sœurs Missionnaires
de la Charité pour nous accueillir. Les émanations pestilentielles
de la misère, les odeurs nauséabondes des égouts
de bidonvilles polluent l’air déjà comprimé
de notre calèche. Les moustiques nous tirent les oreilles déjà
obstruées par le boucan de la ferraille et de la marée humaine.
La route, la ville, c’est l’immense cri, le hurlement, le
sifflet, le klaxon. Tout le monde court lentement : les nids d’éléphants
(j’allais dire de poules !) ne permettent pas aux vieux véhicules
d’aller au-delà de 40 Km à l’heure. On circule
en sinusoïdale : les voitures, les camions, les vélos, les
animaux, les piétons, … dans le respect et la compréhension
mutuelle entre partenaires de la route.
De notre voiture, on pouvait contempler aussi ces braves « hommes
- chevaux », aux corps décharnés, n’ayant que
les os sur la chair et tirant, sous un soleil d’aplomb, et à
peine vêtus, des rickshaws plus pesants qu’eux.
On pouvait aussi contempler ces belles et jolies femmes indiennes habillées
en sari multicolores, vieilles à 18 ans, que la vie a meurtries.
Et puis, cette marmaille d’enfants abandonnés au bord de
la route demandant à vivre.
Toujours de notre taxi, nous pouvions voir ces « abris » de
fortune que le vent ou la pluie balaierait au premier coup et oü
sont entassés comme des sardines des familles entières.
Oui, je suis venu, j’ai vu et j’ai vécu.
Et ce n’était que l’écorce de la réalité
: la souffrance que voit le touriste, l’observateur extérieur.
Cette souffrance-là, on peut la guérir. Mais il y en a une
qui est plus douloureuse. Et que j’ai vue aussi. Laissons la parole
à Mère Teresa : « Quand je trouve dans la rue, dit-elle,
quelqu’un qui a faim, je calme cette faim. Mais quelqu’un
qui est exclus, qui a l’impression que personne ne veut de lui,
que personne n’aime, qui est terrifié, qui a été
chassé de la société – cette pauvreté
est si douloureuse et si grande que je la trouve insupportable. »
Et la Mataji (= la Mère) d’être on ne peut plus explicite
: « Sur un tas d’ordures on avait trouvé une femme
toute couverte de plaies. Souffrant d’une forte fièvre, elle
n’avait plus que quelques jours à vivre. Elle pleurait sans
cesse, même après que nous l’ayons lavée et
couchée dans un lit. Elle a fini par nous dire : « je ne
pleure pas parce qu’il faut que je meure. Ce n’est pas à
cause de cela. Je pleure parce que c’est mon fils qui m’a
jetée ici ! » « C’est mon fils … »
C’est dur !
A Calcutta, certaines mamans, certaines filles mères, jettent leurs
enfants dans les poubelles, dans les caniveaux, devant les établissements
publics ou les maisons ecclésiastiques. SHA BAVAN, la pouponnière
des sœurs en compte aujourd’hui plus de 300 enfants. A Kaligat
(maison mortuaire) à Prem Dan, c’est chaque matin que la
société vient vomir son équipage de parias, de mal-aimés…
des loques humaines : des gens ramassés, gisant dans la boue et
bien des fois rongés par les fourmis et les rats. Les Sœurs
ou les volontaires les ramènent ainsi dans les chariots ou les
ambulances TATA dans ces maisons mortuaires. « Ils ont mené
une vie de chien, dit Mère Teresa, qu’ils meurent au moins
comme des êtres humains. »
Et Onil, ce vieillard mourant, avant de s’en aller, main dans la
main de la sœur Teresa, lui dit sur un ton lézardant mais
confiant : « J’ai vécu dans la rue comme un animal.
Maintenant, je puis mourir comme un ange, aimé et soigné.
»
N O S C A L C U T T A A N O U S.
« Il n’y a pas d’endroit au monde,
disait Mère Teresa, qui soit libre de pauvreté et d’injustice
». Calcutta est omniprésente dans nos villes, quartiers,
villages, maisons. Calcutta, c’est partout oü l’homme
est blessé dans sa dignité d’homme, partout oü
il est affamé, nu, prisonnier, assoiffé, (Mt 25, 31) et
quémande votre amour. Il ne suffit pas d’aller en Inde pour
rencontrer ces blessés de la vie.
« En Angleterre on souffre de solitude, constatait Mère Teresa,
on ne manque pas de pain mais d’affection humaine. Voilà
pour nous le Christ affamé ! » « Le Créateur
de l’univers demande l’amour de ses créatures. Il a
soif de notre amour. »
Dans les pays riches, dits développés, bien des personnes,
y compris les jeunes sont enfermés dans des « maisons mortuaires
invisibles » (le mot est de Mère Teresa). Le taux de suicide
est alarmant. Ils n’ont que trop faire de la vie. Ils ont tous à
la bouche le mot « stress ».
Beaucoup de personnes âgées attendent la mort dans la solitude
et l’indifférence des voisins, et meurent dans la solitude
et l’isolement complet. Seuls les mouches et l’odeur nauséabonde
de la putréfaction de leurs corps alertent de leur disparition.
« Ne va pas chercher Dieu dans des pays lointains, nous avertit encore Mère Teresa, Il n’y est pas. Il est tout près de toi. Laisse seulement la lampe allumée et tu Le verras toujours. Veille et prie. » Calcutta est dans nos cœurs, dans nos villes.
PEACE BEGINS WITH A SMILE : UNE ETOILE DANS LA NUIT NOIRE.
Je suis à Khaligat, l’un des premiers célèbres
mouroirs de Calcutta. Il accueille, comme Prem Dan, ceux qui vont mourir.
Il y a une affluence des volontaires, majoritairement des jeunes, venus
de partout (Russie, Japon, France, Amérique, Canada, Tchèque,
…). Tous veulent donner de leur temps, de leur amour à tous
ceux qui se préparent à leur dernier voyage de la vie. Certains
font la lessive, d’autres lavent ces corps squelettiques pleins
de merde, d’autres encore tiennent la main de celui qui est in extremis.
Plus près de moi, une jeune fille, à peine 18 ans, infirmière,
s’occupait à extraire des vers d’une plaie d’un
vieil homme qui se gangrenait. Plus loin, un jeune homme, 17 ans, avec
un couteau très tranchant arrangeait la barbe de deux autres, jeunes
gens, eux paraplégiques. Après un laps de temps, un homme
d’un âge assez respectable, un handicapé, son tintinbin
sur sa voiture, vint nous rejoindre, mû par la même cause
: celle des petits. Il secourut un malade qui tentait, mais en vain, de
nourrir l’autre d’un morceau de biscuit. Comme quoi les pauvres
ne cesseront de nous apprendre. Ce jour-là, l’humanité
s’était donnée rendez-vous à Khaligat au chevet
de l’homme. Ce qui était frappant est qu’au milieu
de tant de misères, les religieuses comme les volontaires avaient
toujours le sourire aux lèvres. Ils ne donnaient pas que du pain,
du savon, mais aussi et surtout ce qu’ils avaient de meilleur, le
meilleur d’eux-mêmes : le sourire, l’amour du Christ.
« Peace begins with a smile… disait Mère Teresa. J’étais
le seul du groupe qui ne maîtrisait pas bien la langue de SHAKESPEARE.
Je souriais, en bon contemplatif, mais je n’osais pas parler. Quelqu’un
s’approcha de moi. Je sus par après qu’il était
pasteur protestant. Pourquoi ce silence, me demanda-t-il dans un français
un peu hésitant ? « Mon anglais est boiteux, lui dis-je,
et je n’ose pas balbutier un mot ». « Ne t’en
fais pas, dit-il. Ici nous n’avons pas besoin de tout ça.
Nous ne parlons qu’un seul langage, le langage de l’amour.
Celui-là, tout le monde le comprend et le parle ». Il avait
raison.
IT’S NICE TO MEET YOU… OURSELVES !
« Accueillez-vous, souriez-vous mutuellement. Ce
n’est pas toujours facile, dit Madre. Il m’arrive d’avoir
du mal à sourire à mes sœurs.
Nous avons alors besoin de prier. Nous devons faire une place à
Jésus en nous car c’est la condition pour être en mesure
de la donner aux autres.
Si vous apprenez l’art de vous accueillir réciproquement,
vous ressemblerez de plus en plus au Christ, car son cœur n’est
que bienveillance et il pense toujours aux autres.
Jésus n’a passé parmi les hommes qu’en faisant
du bien. De même, à Cana, sa Mère a pensé aux
besoins des autres et les a fait connaître à Jésus.
»
It’s nice to meet you. Le mot était sur
les lèvres de tous les prêtres du « Corpus Christi
Movement ».
Oui, le rendez-vous de Calcutta aura été celui de la rencontre,
de l’accueil mutuel, de la prière et du service des plus
pauvres de pauvres.